Le Portrait

Laurent Pokou, artiste du foot beau.

Ailleurs, le récit de sa vie aurait nourri des documentaires, inspiré des écrivains et influencé des cinéastes. Hélas, par notre manque d’appétence à célébrer nos héros, il ne reste de lui que le souvenir enthousiaste des aînés qui l’ont vu jouer. Il ne demeure que quelques diapositives et une série d’images d’Epinal.

Pourtant de lui, Robert Herbin, ancien footballeur français et l’un des meilleurs techniciens d’Europe avait dit ceci en 1974 : « Il a marqué l’un des plus beaux buts que je n’ai jamais vus ». Et Michel Vautrot ancien arbitre international interrogé par un journaliste dira que « Les joueurs qui m’ont le plus impressionné ? Je ne vais pas faire dans l’originalité et citer Platini, Beckenbauer, Pelé, Girese bien sûr, mais je n’ai jamais vu rien de tel que Pokou lors d’un Rennes – Saint-Étienne. »

Sous ses dehors calme et policé, dans son attitude ascétique, se cachait un footballeur hors pair, un buteur invétéré, un joueur génial. 

 Pokou n’était pas formaté et corseté comme les footballeurs d’aujourd’hui.

De son temps, l’entraîneur ne parlait pas tactique avec ses joueurs. Ils n’avaient pas besoin de grandes explications. Le jeu était porté vers l’avant. Et Pokou savait ce qu’il devait faire. C’était un joueur instinctif et intuitif. Un génie primitif, aux gestes magiques et d’une grande esthétique. 

Ses debuts

C’est en 1947, le 10 Août que Laurent N’Dri Pokou voit le jour à Treichville, quartier populaire d’Abidjan. Très tôt piqué par le virus du football, il intègre l’équipe des jeunes de l’ASEC à seulement 11 ans. Mais son père employé des chemins de fer est muté à Bouaké. Laurent Pokou se voit obliger de quitter l’ASEC pour suivre la famille.

À Bouaké, Il continue de jouer au football à l’école. Élève moyen, il quitte l’école pour se consacrer à sa passion. Mais pour vivre, il travaille comme aide-projectionniste dans un cinéma et participe à des rencontres de football amateur.

Il est repéré par l’USFRAN Bouaké avec qui il signe son premier contrat à 17 ans.

Avec son club, il parvient jusqu’en finale du championnat national. 

l’USFRAN s’incline mais Pokou fait sensation et est recruté par l’ASEC à l’issue de la rencontre.

L’homme d’Asmara

Lors de sa première titularisation avec l’ASEC, Le 20 novembre 1966, Pokou Laurent donne du tournis aux arrières de l’équipe adverse et inscrit trois buts. Ses qualités de buteur n’échappent pas au sélectionneur de l’équipe nationale qui lui fait appel. Et au cours de la Coupe d’Afrique des nations en Éthiopie en janvier 1968, Laurent Pokou, titulaire dès l’entame de la rencontre face à l’Algérie inscrit, un premier but. Puis, d’un geste sublime, il marque un second but. Une réalisation d’anthologie. De ceux qu’on ne réalise qu’une seule fois dans la vie.  L’empereur Hailé Sélassié 1er, présent au stade, ne peut contenir sa joie, il se lève pour saluer le virtuose. Une rencontre au cours de laquelle il subjugue les spectateurs.

La Côte d’Ivoire sera éliminée en demi-finale par les Black Stars du Ghana. Mais Pokou est l’homme du tournoi et la presse lui donnera le sobriquet de l’homme d’Asmara.

De retour à Abidjan, il continue sa carrière cahin-caha et remporte les éditions 68 et 69 de la coupe nationale avec l’ASEC.

En 1970, il est encore de l’aventure avec l’équipe nationale à la C.A.N au Soudan. La Côte d’Ivoire termine quatrième de la compétition mais Pokou inscrira huit buts. En deux phases finales de la coupe d’Afrique, il a inscrit quatorze buts. Un record.

Le passage en France

Dès lors, il éveille l’intérêt des recruteurs français. Le président de la République Félix Houphouët Boigny rechigne à le laisser partir. Et Pokou qui tente subrepticement de s’en aller est arrêté à l’aéroport.  Après de nombreuses tribulations et tractations, il se rendra finalement à Rennes pour intégrer l’équipe du FC Rennes en fin d’année 1973.

Après trois saisons exceptionnelles, Pokou subira de nombreuses blessures. En 1977, il quitte le FC Rennes pour l’AS Nancy-Lorraine, où il jouera avec un certain Michel Platini alors encore inconnu. Ses blessures ne lui permettront pas de jouer plus de onze matchs. Il terminera sa carrière internationale avec le FC Rennes en 1979.

De l’avis de nombreux commentateurs du football français, il est le meilleur joueur de l’histoire du Club Rennais. En 1980, il retourne à Abidjan pour réendosser le maillot jaune et noir de l’ASEC avec la double casquette de Footballeur et d’entraîneur adjoint.  Après deux ans, il quitte le poste d’entraîneur de l’ASEC pour celui du Rio-Sports d’Anyama. Ensuite, il ira partager son expérience à l’US Yamoussoukro.

Les adieux

Blasé, il raccrochera définitivement à la fin de la décennie 1980. Il menait une retraite modeste loin des spotlights. Un incident malheureux le mettra toutefois à la Une des journaux. Le 6 avril 2008 en effet, il est tabassé par des policiers zélés lors d’un contrôle de routine. Laurent Pokou qui n’était pas un homme expansif n’a pas fait la fine bouche. L’être méditatif et contemplatif qu’il était ne s’en est pas formalisé.

Laurent Pokou n’était pas riche loin s’en faut. Il n’a pas gagné beaucoup d’argent. À l’époque, on ne gagnait les sommes astronomiques qu’engrangent les footballeurs moyens d’aujourd’hui. Il aurait pu retourner à Rennes ou on lui vouait un culte, mais il a préféré rester en Côte d’Ivoire dans l’anonymat. Vivant chichement mais dignement.

Il est décédé en 2016, le 13 novembre dans l’indifférence. Certains journaux lui ont consacré quelques lignes, pas plus. Il n’a pas eu un hommage digne de lui. Or son statut, sa sature méritait bien qu’on lui érige une statue.

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