C’est à Papara, paisible patelin niché à quelques encablures de la ville de Tingrela dans le septentrion ivoirien que nait Koné Zélé en 1934. La Côte d’Ivoire est alors sous le joug du colon français. Cinquième fille d’un père qui est chef de village, elle reçoit une éducation dans la pure tradition Sénoufo. Mariée à l’adolescence, elle ira vivre avec son époux dans le village de celui-ci non loin de Papara. Koné Zélé connaîtra 11 maternités. Par 11 fois, elle aura l’heur d’être mère. Hélas tous ses 11 enfants, seront successivement fauchés par la mort avant d’atteindre l’âge de 3 ans. Le sort s’acharne sur elle et ne lui laisse aucun répit. Dans le village de son époux, elle essuie les regards dédaigneux, les allusions et les insinuations, les railleries et les quolibets avec stoïcisme. On lui fait porter la responsabilité des morts de ses enfants. La tradition est parfois injuste envers les femmes. Ce serait elle qui dévorerait mystiquement ses rejetons.
Répudiée, elle s’enfuit sous les lazzis pour rejoindre sa terre natale à Papara. Et là, Koné Zélé commence à cultiver la terre. Cette terre rétive et indocile du Nord. Pendant son labeur, elle chante la vie, sa vie. Sous le soleil coléreux ou pendant les pluies drues, elle chante ses douleurs, ses malheurs, ses peines, ses déboires mais aussi ses espoirs, ses espérances, avec le lyrisme d’une soprano. Maniant le chanter-parler de façon prodigieuse. Koné Zélé devient Zélé de Papara, la cantatrice, la diva, la Donna.
De ses malheurs sont nés une tessiture vocale unique, une maîtrise instinctive de la chanson. On la réclame partout. Lors des funérailles mais aussi pendant les mariages et les baptêmes. Partout, elle chante le Bari. Chez elle, fatalité et réjouissance cohabitent, se fondent et se confondent. Malheur et bonheur se doublent, se dédoublent et se redoublent dans une sorte de chassé-croisé.
Et comme une traînée de poudre, sa réputation de virtuose se répand par delà les frontières de son lieu géographique. On parle d’elle et surtout de sa voix singulière née des vicissitudes d’une vie qui ne lui aura rien épargné. En 1987, elle est révélée au grand public à la faveur du premier Festival national des masques et danses traditionnelles à Yamoussoukro. Ses chansons diffusées sur la radio nationale l’imposent dans tout le pays. Les producteurs affluent avec des propositions alléchantes. Mais, elle leur oppose un refus courtois mais ferme. Par philosophie de vie, elle goutait peu à la vie de star. Préférant continuer à labourer la terre et à se produire dans des cérémonies modestes. Le 17 Août 1994, elle décède durant cette nuit de tornade où sa case s’écroule sur son frêle corps. Elle avait la petite soixantaine. À l’instar de quelques autres, elle aura payé son génie par une vie de tiraillements. Son génie est né dans les bras du chagrin et des épreuves.
Zélé de Papara ou plutôt la cantatrice de Papara aura connue une destinée fracassée, un destin empêtré dans la glue du malheur. Même si la notoriété ne l’a pas placé au même rang qu’une Maria Callas devant qui elle n’aurait eu aucun complexe sur ses qualités vocales, Zélé de Papara fut pour les esthètes, l’une des meilleures artistes à voix de la Côte d’Ivoire. On peut espérer qu’un jour, lorsque l’idée nous viendra de célébrer nos vrais héros, on lui tressera des lauriers rétrospectifs en lui rendant un hommage posthume à hauteur de son génie. Et que les xylophones de l’art mandingue accompagneront cette voix à la pureté cristalline. Outre-tombe.